D’où vient la notion de folie ?

Etymologiquement, le mot folie vient de « fol », une altération du mot feuille. À partir du sens de « abri de feuillage, cabane », le mot a d’abord désigné une maison de campagne. Puis l’étymologie populaire a vulgarisé ce terme en faisant référence à une « construction extravagante ».

Cela laisse-t-il supposer qu’on aurait quelque chose à mettre à l’abri, à recouvrir, à cacher ? Quelque chose qui ne peut se voir, qui ne peut se dire ? Un secret ? Comme Adam et Ève qui utilisaient des feuilles de figuier pour dissimuler leur nudité après avoir mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ce « voile de pudeur », selon la Genèse, que l’on pose sur les choses embarrassantes.

Cela peut faire penser aussi à l’enfant qui construit une cabane dans les bois pour se bâtir un petit nid, une aire de jeu. C’est l’idée de se construire un lieu à soi pour se réfugier, une bulle de protection située en dehors de la réalité habituelle, comme une sorte de matrice intemporelle. Tout comme cet espace imaginaire, rêvé éveillé, que le petit enfant crée pour inventer son propre monde.

Cela ne pourrait-il pas exprimer un vide, un manque de structure ? Besoin d’un cocon, besoin d’un espace à soi, besoin de limites, la nécessité d’un cadre structurant. Cette notion m’a ramenée à ce même espace halluciné, à ce même contenant que l’on reconstruit avec les patients en séance, et la sphère dans laquelle se déroule le rêve éveillé – tout comme le rêve nocturne – où tout est possible, le pire comme le meilleur.

Et cela m’a fait penser au film « le Cercle des poètes disparus », à ce groupe de jeunes qui part se réfugier, la nuit tombée, dans une petite caverne au fond des bois pour laisser exprimer sa créativité, investie par opposition à la prestigieuse académie de Welton qui prône le respect du conformisme et de l’autorité.
La folie, serait-ce pour fuir un lieu trop strict, trop enfermant, trop toxique ?

Alors que je rédigeais cet article, il y a plusieurs années, une étonnante synchronicité est arrivée dans mon cabinet, quelques heures après avoir relevé l’origine du mot folie. Un de mes patients fait un rêve éveillé en séance, durant lequel il se retrouve enfant, seul, encerclé par des sapins, au cœur d’une forêt très sombre qui ne laisse absolument pas passer la lumière. Il fait nuit, c’est l’hiver, tout est sous la neige. Il ressent de la terreur et ne veut pas rester là tout seul dans le noir. Il ne peut plus bouger. Mais il ne veut pas rester dans cette forêt impénétrable dont il ne peut pourtant pas sortir pour le moment. Il se met à pleurer et exprime son impuissance. Il est en quelque sorte cerné par son inconscient très sombre, effrayant, immense, avec des pulsions terrifiantes absolument pas détoxiquées, ni gérées. Et, là, tout à coup, il décide de se construire une petite cabane dans laquelle il allume un feu de bois pour se réchauffer. Intemporalité de cet instant…

Un parallèle peut être fait entre ce patient et le groupe de jeunes académiciens du « Cercle des Poètes disparus », qui tous fuient un lieu austère, envahissant et emprisonnant pour recréer un espace sécurisant où la vie, où le mouvement peuvent à nouveau être.

Une citation d’Antonin Artaud illustre bien la difficulté à vivre le défaut, le manque de bases vitales saines et structurantes. Il dit, à propos de lui-même : « Antonin Artaud fut d’abord un modèle perverti, une esquisse essayée que j’ai reprise moi-même à un certain moment, pour rentrer chez moi habillé ».

On retrouve la notion de s’abriter, de se couvrir, de se sentir revêtu d’habits, des outils nécessaires pour être au monde, pour vivre dans la société. Sous-entendu, il a fait comme il a pu pour ne pas rester « à poil », sachant que cette expression à l’origine signifie « sans couverture », lorsqu’on montait un cheval à cru, à même le poil de l’animal sans aucune selle, sans équipement. Antonin Artaud n’avait pas le minimum vital, se vivait telle une œuvre inachevée, une esquisse essayée, qu’il devait inventer lui-même. Il faisait comme il pouvait avec ce qu’il trouvait.

La folie n’existe que dans une société constituée et par rapport à elle

La question de la folie est un vaste débat qui concerne à la fois l’état de l’équilibre psychique d’une personne, mais aussi les codes sociétaux établis. La folie n’existe que dans une société constituée et par rapport à elle. C’est un fait de civilisation. Suivant les époques et les croyances, la folie a inspiré des sentiments totalement divergents. Elle a longtemps été associée aux forces surnaturelles, bénéfiques ou maléfiques qui régissent le destin de l’homme.

Tantôt le fou était un saint, inspiré des dieux, tantôt il était victime de la colère divine ou avait pactisé avec le diable. Certains courants philosophiques voyaient dans la folie d’une personne l’expiation de ses fautes, comme si la perte de sa liberté morale n’était que justice rendue. Au Moyen Âge, on considérait le fou comme un être impur, un possédé du démon ou un hérétique. C’était l’époque de la « chasse aux sorcières ».

Donc, la folie représente une sorte de fascination, elle inquiète, elle fait peur. A travers les époques, le fou a souvent été appréhendé comme celui qui danse entre la vie et la mort, dans un monde étrange, insaisissable pour l’homme dit normal.

Dans la mythologie, Mania, la folie, incarne justement la déesse de la mort et du monde souterrain. On retrouve là le suffixe qui a été repris ensuite pour qualifier un certain nombre de troubles du comportement : kleptomanie, mythomanie, toxicomanie, … la manie étant définie comme une folie qui n’est pas complète comme la démence, et qui se manifeste par accès intermittents.

Alors, lorsqu’on va voir un psy, on est amené à dévoiler une partie de son intimité, une partie de ses secrets, et certaines zones de notre être profond qui nous sont inconnues. Comme on ne sait pas trop ce qu’il y a en-dessous, ce point déjà peut être inquiétant. Et d’ailleurs ce n’est pas rare que l’on cache, au moins pour un temps à son entourage, que l’on consulte.

Ensuite, on ne sait pas à qui l’on a à faire au départ. Est-ce que je peux faire confiance au psy que je vais voir ? Est-ce qu’il ne va pas raconter ce que je lui confie à quelqu’un d’autre ? D’autre part, va-t-il être capable de m’aider ? Ce psy, est-il vraiment compétent ?

Parfois, la peur du diagnostic posé est latente, comme lorsqu’on attend des résultats d’analyses. On s’imagine le pire… et si le psy découvrait que mon cerveau ne tourne pas rond ? Et si l’étiquette de « fou » ou de « folle » était collée sur mon front ? Et si on voulait m’enfermer parce qu’on ne comprend pas comment je fonctionne, parce que je dérange, ou tout simplement parce qu’on ne sait pas comment traiter mon problème ?

Donc l’amalgame est souvent fait entre le fait de consulter un psy et celui d’être potentiellement fou. Cette idée est encore fortement ancrée dans les esprits et ça fait peur. Indépendamment de tout ce qui se joue aussi sur le plan inconscient. Tout ce que l’on ne voit pas, que l’on a du mal à saisir, à comprendre, participe au mystère, à nos fantasmes…

Et on se dit finalement que, même si le système dans lequel on se trouve ne fonctionne pas toujours très bien, au moins on le connaît et on sait à quoi s’en tenir. Alors que s’engager sur une piste inconnue, avec un thérapeute inconnu, sans savoir véritablement ce qui va en découler… Est-ce que le fait de suivre cette thérapie ne va pas me décider à quitter mon mari ou ma femme ? Est-ce que je ne vais pas perdre mon emploi ? Est-ce vraiment nécessaire de tout remettre en question comme ça ? Etc…

Donc, tout ceci peut engendrer un sentiment de peur, de culpabilité, de honte, plein d’émotions dans lesquelles on n’a pas forcément envie d’entrer. On sait ce que l’on a, mais on ne sait pas ce que l’on va trouver ! On a peur de perdre pied, de perdre ses repères habituels.

On fantasme souvent le pire en oubliant les bienfaits qu’une thérapie, un accompagnement bienveillant, va pouvoir nous apporter ! Albert Einstein ne disait-il pas pourtant : « la folie, c’est continuer à se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent. » 

On touche la question de la normalité psychique, laquelle évolue régulièrement en fonction des époques et des mentalités. Définir les frontières entre la normalité, le pathologique et l’anormal est délicat, chaque symptôme, qu’il soit banal ou complexe, ayant un sens bien particulier pour chaque personne.

Même si un diagnostic peut apporter un éclairage aidant, on peut justement souligner le danger de la pose d’étiquettes, en rangeant les personnes dans des cases.

« Un aliéné est un homme que la société n’a pas voulu entendre et qu’elle a empêché d’émettre d’insupportables vérités. » Antonin Artaud

Rappelons-nous l’effet Pygmalion démontré à l’origine par les psychologues américains Rosenthal et Jacobson, et comment l’idée qu’une personne a sur une autre, même sans être exprimée, produit un effet sur cette autre. Ce principe est largement reconnu aujourd’hui par les neurosciences et la physique quantique.

A l’instar de ce principe, un thérapeute devra reconnaître intérieurement les capacités de changement de ses patients et les accompagner vers un mouvement constructif pour eux.

 

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