La culpabilité est un sentiment présent dans notre histoire de vie à tous. Même si notre enfance a été heureuse, que nous avons subi peu de traumatismes et vécu dans un environnement soutenant, il existe en chacun de nous ce qu’on appelle un « noyau de culpabilité », né du décodage effectué par le psychisme de l’enfant, dans son effort de compréhension de la vie et de lui-même.

C’est-à-dire, lorsqu’une situation se révèle frustrante ou difficile, l’enfant se demande pourquoi cela lui arrive. Et comme il raisonne en se voyant au centre d’un monde habité par des imagos parentales idéalisées, il imagine que tout ceci vient de lui-même. Donc, si tel ou tel événement douloureux lui arrive, c’est parce qu’il n’a pas été assez gentil, pas suffisamment intelligent ou sage, etc.

Et, de mini-traumatismes en décodages négatifs, issus de son sentiment d’impuissance, l’enfant le mieux élevé va quand même créer un noyau de culpabilité et de dévalorisation.

En somme, une part « Coupable » s’établit en lui, que le bourreau interne (Schéma Destructeur Interne) pourra ensuite torturer. « Puisque je suis fautif, je dois être puni » dit cette part en nous qui se sent coupable, et qui peut s’installer aussi solidement lorsque les parents pratiquent un mode relationnel culpabilisant. Exemple, une mère qui dit à son enfant : « dépêche-toi ou je vais arriver en retard à cause de toi ! » ; ou « si tu ne fais pas tes devoirs, tu n’auras pas le droit de manger de dessert ! ».

Dans son ouvrage « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant », Sándor Ferenczi nous parle des parents cherchant pathologiquement un substitut à leurs insatisfactions et causent des violences à leurs enfants. S’en suivent une : « identification à l’agresseur » et une « prématuration » pathologique dans l’esprit de l’enfant. L’agresseur et son sentiment de culpabilité deviennent une réalité intrapsychique.

La culpabilité est profondément stockée dans l’inconscient collectif depuis la nuit des temps, et est en rapport avec la mort d’un frère, d’une mère ou d’un père. En effet, ce qui est fondateur d’une civilisation et que l’on retrouve principalement dans les mythes, c’est souvent un conflit mortel : Zeus et Chronos, Romulus et Rémus, Caïn et Abel, Oreste et Clytemnestre, etc.) comme si la fondation d’une civilisation reposait sur un conflit mortel.

Par exemple, si on reprend le « mythe de Caïn », celui-ci raconte l’histoire des fils d’Adam et Ève, Caïn et Abel. Abel est pasteur et sacrifie des premiers-nés de son troupeau pour les offrir à Yahvé. Caïn, lui, cultive le sol et offre des produits de sa récolte à Yahvé. Yahvé accepte bien les offrandes d’Abel mais refuse celles de Caïn, lequel devient jaloux et tue son frère qui apparaissait comme étant « le préféré ».

Caïn, poussé au meurtre de son frère par une force intérieure qu’il ne maîtrise pas, est condamné à l’errance, puis exilé. Yahvé dit à Caïn : « Sois maudit et chassé du sol fertile… Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit, tu seras un errant parcourant la terre. »

Caïn, ensuite empreint de culpabilité, répond à Yahvé : « Ma peine est trop lourde à porter… je devrai me cacher loin de ta face et je serai un errant parcourant la terre ». On peut même ressentir de la honte dans ces propos. Puis Caïn est exilé mais, dans le même temps, il est protégé par Yahvé de différentes attaques, comme si Caïn était appelé à jouer un rôle fondamental.


Dans son ouvrage « Structures du mal », Eugen Drewermann (1986) fait une analyse psychanalytique du drame de Caïn et Abel, le définissant comme une réalité qui se déroule à l’intérieur même de l’homme. Le conflit entre Caïn et Abel est symbolique de mécanismes psychologiques qui apparaissent à certaines étapes du développement de chaque personne : la situation pré-œdipale, avec des conflits au sein de la fratrie pour l’obtention, sans partage, de l’amour parental. Il s’agit bien d’un mythe à portée universelle.

Voici une citation de l’écrivain John Steinbeck, qui illustre bien ce mythe : « La plus grande peur qui peut envahir un enfant est celle de ne pas être aimé. Le rejet est l’enfer qui l’angoisse. Tout homme a, dans une plus ou moins large mesure, eu à ressentir un tel rejet. Avec le rejet vient la colère, et avec la colère apparaît un méfait (on pourrait dire un passage à l’acte), comme vengeance pour le rejet. Mais avec le méfait apparaît un sentiment de culpabilité : vous avez là l’histoire de l’humanité. »


Définition

Maintenant, clarifions cette notion de culpabilité. Ce mot vient du terme latin « culpa », qui signifie faute. La culpabilité est donc un sentiment causé par la transgression d’une norme morale. On fait, ou on croit avoir fait, quelque chose qu’on n’aurait pas dû. Selon le dictionnaire Larousse, le terme culpabilité est défini comme « l’état d’une personne qui éprouve un sentiment de faute, que celle-ci soit réelle ou imaginaire », ou qui se sent « à tort ou à raison, coupable d’avoir transgressé une règle. » La culpabilité peut apparaître suite à un agissement, une parole, ou encore l’omission d’une action.

On a vu précédemment que la culpabilité est très présente dans les mythes et on peut constater également qu’elle a été largement répandue par la religion. L’expression « battre sa coulpe » trouve son origine au moyen-âge avec les moines qui devaient avouer leurs fautes ou leurs péchés devant la communauté, en se frappant la poitrine, tout en prononçant « mea culpa, mea culpa maxima ». Cela revenant à manifester son repentir d’une faute. Sans parler des rituels de flagellation qui sont toujours en vigueur de nos jours dans certaines traditions.

On peut en voir un exemple dans le film « Da Vinci Code », tiré du roman de Dan Brown, lorsque le moine Silas s’inflige une flagellation, doublée d’une ceinture avec des pics qui lui rentrent dans la peau de la cuisse lorsqu’il la serre.

Mais au niveau sociétal, la religion n’est pas la seule instigatrice d’une culpabilité punitive. Il y a aussi l’éducation, les normes et pressions sociales, et bien sûr notre histoire personnelle, nos valeurs et nos propres exigences, qui sont autant de facteurs pouvant être en cause.

A noter que la culpabilité survient souvent dès la mort d’un parent ou d’un proche. On peut se culpabiliser de ne pas avoir suffisamment passé de temps avec cette personne, de ne pas lui avoir suffisamment parlé ou encore de ne pas avoir réglé d’anciens différends, etc.


Principaux sentiments proches de la culpabilité

Le regret est lié au fait que la personne se reproche la manière dont elle a agi. Dans le regret, il y a une impression d’irréversibilité, l’idée que c’est trop tard pour faire quelque chose. Il y a une notion de frustration et de culpabilité, et cela peut être la cause de remords.

Le remords est très proche aussi d’un auto-ressentiment. C’est un sentiment douloureux, généralement ressenti par une personne après avoir commis un acte qui l’a conduite à être blessante ou violente. Le remords est souvent accompagné d’un sentiment de honte, causé par la conscience d’avoir mal agi.

La honte est considérée comme une émotion résultant d’une non-conformité à certaines exigences sociales. Elle est parfois définie comme la version sociale de la culpabilité. Il s’agit d’une émotion plus archaïque que la culpabilité au sens où elle est souvent moins verbale et plus sensorielle que cette dernière. Pour mémoire, vous pourrez relire le topo qu’avait rédigé Laurence Dauvergne l’an dernier sur ce thème.

La honte et la culpabilité sont définies comme appartenant à une classe d’émotions morales complexes qui se développent plus tardivement que les émotions de base comme la joie, la surprise, la colère, la peur, la tristesse, etc. En tant que telles, ces émotions dites complexes n’ont pas de correspondance aussi simples que les autres avec des modalités d’expression du visage, de la voix ou de la posture.

Un éclairage sur leur principale différence : la culpabilité porte sur ce que la personne fait, alors que la honte porte sur ce que la personne est (Shapiro, 2003).


Conséquences de la culpabilité

Considérée comme particulièrement toxique sur le plan psychique, la culpabilité chronique participe à une détérioration progressive de l’humeur, à une fragilisation narcissique, à une perte de confiance en soi et à l’accroissement du stress.

La culpabilisation est une stratégie du manipulateur pervers qui a une véritable prise de pouvoir sur l’autre. Pour cela, il pratique la mise en dépendance, le dénigrement, le chantage affectif, le mensonge, le verrouillage, l’isolement et le renversement.


Préconisations pour sortir d’une culpabilité envahissante

  1. Faire la différence entre être coupable et se sentir coupable
  2. Identifier ses besoins
  3. Revisiter sa grille de lecture par rapport à ce qui est bon et nocif pour soi
  4. Relativiser, on est humain et faillible
  5. Retourner dans l’instant présent du passé
  6. Accepter l’histoire telle qu’elle est


Bienfaits possibles de la culpabilité

  • La culpabilité est un signe de bonne santé mentale contre la perversion.
  • Elle permet d’installer des limites.
  • Elle est un garde-fou, au sens propre comme au sens figuré.
  • Elle permet de se poser des questions, à condition de ne pas entrer dans un personnage de Victime.
  • Elle peut être un signal, dans le contre-transfert, d’un sentiment dont le patient est porteur à son insu.
  • Elle peut être un moyen de sortir de l’égocentrisme et de l’égoïsme.
  • Elle permet de signaler un dommage crée à autrui.
  • Elle peut être une étape vers le pardon et vers la responsabilité.


Bibliographie

« Huit types de culpabilité », Alain Crespelle, Cairn Info
« La culpabilité d’exister, culpabilité primaire », Dominique Bourdin
« Manuel de formation Psychanalyse Rêve éveillé », Jean-Marc Henriot
« Agressivité, culpabilité et réparation », Donald W. Winnicott
« La Culpabilité », Lewis Engel et Tom Ferguson
« La Culpabilité », Wikipédia


Filmographie

« Reviens-moi », Joseph Wright, 2007

À l’âge de treize ans, Briony Tallis, aspirant à devenir romancière, change irrévocablement le cours de plusieurs vies lorsqu’elle accuse l’amant de sa sœur aînée de l’avoir violée. Des décennies plus tard, Briony est devenue auteure à succès. Son roman autobiographique s’intitule « Expiation », dans lequel elle fait des aveux.


« L’Expérience interdite (Flatliners) »,
Joël Schumacher, 1990

Un groupe d’étudiants en médecine tente d’élucider le mystère de la mort en se provoquant volontairement un arrêt cardiaque, à tour de rôle. Cela les plonge dans l’expérience de mort imminente, et les oblige à faire face à leur part d’ombre, à leur passé, réveillant aussi de la culpabilité.

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